Les surdoués ne sont pas ceux que l'on croit
Les surdoués sont-ils vraiment c
eux qui réussissent brillamment les tests de QI ? De plus en plus de spécialistes le contestent et soulignent d’autres aspects de l’intelligence et des potentiels humains. Comme l’intelligence émotionnelle et perceptive.
Les surdoués ne sont peut-être pas ceux que l'on croit. Dans notre société actuelle, le Quotient Intellectuel reste la référence absolue de l'intelligence. Seuls les tests de QI permettent de donner des indices sur la vivacité intellectuelle d’un adulte ou d’un enfant, et de juger s’il est « surefficient » ou non. Pourtant aujourd’hui, ces tests sont de plus en plus contestés car ils font appel à notre raisonnement dans un environnement structuré, en l'occurrence via des problématiques données où il n’existe qu’une seule bonne réponse. Par conséquent, le QI ne prend pas en compte notre comportement dans un environnement non structuré, qui correspondrait mieux à la réalité vécue.
« C’est une question sensible, » confirme Maria Pereira-Fradin, maître de conférence en psychologie et chercheuse au CNRS. « Le QI a un avantage : c’est un indice précis, un chiffre qui situe un individu par rapport aux autres. Même si la mesure présente un certain confort, elle a de sérieuses limites qu’on a tendance à oublier. Car ce chiffre global ne donne pas beaucoup d’informations sur le fonctionnement cognitif, et ne prend pas en compte certaines caractéristiques non intellectuelles très importantes comme des traits de personnalité, la motivation et la créativité. D’ailleurs, de nombreux psychologues refusent aujourd’hui de se baser uniquement sur le QI pour évaluer le potentiel d’une personne. »
Un point de vue confirmé par Christel Petitcollin, formatrice en communication et en développement personnel. « Officiellement, les surdoués représentent 2% de la population alors qu’en réalité, ils seraient 15 à 30% car ces tests n’évaluent que la partie émergée de l’iceberg. »
Le QI est loin de remporter l’adhésion. Faut-il le supprimer ? D’autres mesures peuvent-elles le remplacer ? Selon Maria Pereira-Fradin, « le QI restera encore longtemps utilisé, mais il faut en combler les lacunes. Il y a un élargissement des moyens d’identification, mais qui n’a pas encore abouti dans les pratiques. Certaines caractéristiques non intellectuelles sont très importantes dans le phénomène : des traits de personnalité, la motivation et la créativité, que l’on peut évaluer. Le QI est une mesure d’intelligence globale intimement liée aux aptitudes demandées à l’école. Or, le haut potentiel ne se résume pas à cela. »
Des intelligences multiples
En effet, des recherches scientifiques récentes aux États-Unis ont démontré que l’intelligence n’était pas unitaire mais plurielle. Pour le chercheur américain Howard Gardner, professeur à l’université de Harvard, il existe huit types d'intelligence : spatiale, verbale, kinesthésique, logico-mathématique, inter-personnelle, intra-personnelle, musicale et écologique. Très influent dans la recherche sur les enfants surdoués, le psychologue américain Robert Sternberg considère, quant à lui, que l’intelligence comporte trois volets principaux : l’intelligence analytique - logico/mathématique, verbale, académique -, l’intelligence pratique et l’intelligence créative. Le haut potentiel peut se manifester dans n’importe lequel de ces domaines. Et la créativité ressort comme un des axes de recherche les plus prometteurs.
Pour l’américain Daniel Goleman, psychologue de formation, ex-enseignant à Harvard, aujourd’hui président de la société Emotional Intelligence Services, la notion habituelle d’intelligence néglige un aspect essentiel du comportement humain : nos émotions.
L’importance de l’intelligence émotionnelle
Puisant dans les découvertes récentes de la biologie et de la psychologie, il a analysé les raisons pour lesquelles un QI élevé peut être un handicap et la maîtrise des émotions un atout. Self-contrôle, persévérance, motivation, respect d’autrui, aisance sociale sont quelques-unes des compétences qui définissent cette intelligence « autre » : l’intelligence émotionnelle. « Lorsque les sociobiologistes cherchent à expliquer pourquoi l’évolution a conféré aux émotions un rôle de premier plan dans la psyché, ils soulignent la prééminence du cœur sur le mental, explique Daniel Goleman. Nos émotions nous aident en effet à affronter des situations et des tâches trop importantes pour être confiées au seul intellect : le danger, les pertes douloureuses, la persévérance en dépit des déconvenues, la fondation d’un couple, la création d’une famille. Chaque émotion nous prépare à agir d’une certaine manière ; chacune nous indique une voie qui, dans le passé, a permis de relever les défis de l’existence. Les mêmes situations se sont inlassablement répétées au cours de l’évolution, et le fait que notre répertoire d’émotions soit inscrit dans notre cœur sous forme de tendances innées et automatiques atteste de sa valeur de survie. Toute conception de la nature humaine qui ignorerait le pouvoir des émotions manquerait singulièrement de perspicacité. L’expression Homo sapiens, l’homme pensant, est particulièrement malheureuse si l’on considère le rôle majeur que, selon les scientifiques, les émotions jouent dans notre vie. Comme nous le savons tous d’expérience, en matière de décision et d’action, l’intuition compte autant, sinon plus, que la pensée. Nous exagérons la valeur et l’importance de la raison pure, que mesure le QI, dans la vie humaine. Notre intelligence est pourtant inutile quand nous sommes sous l’emprise de nos émotions. »
Contrairement au QI, il n’existe pas de test simple permettant de mesurer l’intelligence émotionnelle. Bien que toutes ses composantes fassent l’objet de recherches importantes, certaines d’entre elles sont plus faciles à tester. L’empathie, par exemple, peut l’être en demandant au sujet d’interpréter les sentiments d’une personne à partir de l’expression de son visage.
A la différence du QI, l’intelligence émotionnelle n’est pas figée. Au contraire, chacun a la possibilité de l’améliorer, pour peu qu’il apprenne à reconnaître et à utiliser l’ensemble de ses émotions. « L’injonction de Socrate – "Connais-toi toi même" - renvoie à cette clé de voûte de l’intelligence émotionnelle, poursuit Goleman. Il faut être conscient de ses propres sentiments au fur et à mesure de leur apparition. Être dans la conscience de soi, cette attention permanente à son état intérieur. » Outre-Atlantique, quelques établissements scolaires ont déjà intégré des cours d’éducation émotionnelle aux disciplines déjà enseignées. Un programme qui offre un ensemble d’outils permettant de développer l’empathie, l’affection, la tolérance, la capacité de se mettre à la place des autres et une meilleure maîtrise des émotions.
L’intelligence perceptive
Les « surdoués » émotionnels développent souvent une autre forme d’intelligence, pourtant moins connue : l’intelligence perceptive. De nombreuses personnes, sans oser l’avouer, ont développé d’incroyables capacités perceptives : intuition mais aussi hyperesthésie – terme scientifique pour désigner le fait d’avoir les cinq sens dotés d’une acuité exceptionnelle - précognition, extralucidité, clairvoyance... « Plus vous êtes empathique, plus vous allez avoir la capacité de lire le langage non verbal et de capter des informations, assure Christel Petitcollin. De comprendre les autres au point de pressentir leur personnalité, leurs attentes et leurs pensées. Les personnes que j’ai pu identifier comme surefficients, vivent aussi, bien souvent, des expériences inexpliquées : de la télépathie aux rêves prémonitoires en passant par des états extatiques de paix et d’amour pur, de sensation de communion avec la nature, et parfois plus : comme la capacité à percevoir les auras, à ressentir des entités et autres présences occultes, à se souvenir de vies antérieures, à se connecter à d’autres dimensions... » Si ces capacités perceptives ne sont pas encore reconnues par la majorité de la communauté scientifique, certaines recherches tendent à démontrer leur existence et à changer notre regard sur l’être humain qui ne doit plus être simplement vu comme un cerveau sur pattes. Des recherches en neurosciences au Canada auxquelles collabore Corine Sombrun, écrivaine, compositrice, conférencière et exploratrice de la transe chamanique, vont dans ce sens. « Des électroencéphalogrammes de mon cerveau ont été faits en état de conscience ordinaire puis en état modifié de conscience. Les résultats ont prouvé que la transe n’était pas juste une théâtralisation mais modifiait de manière spectaculaire le fonctionnement des circuits cérébraux, et activait des zones dites "perceptives" (limbiques). Ce qui expliquerait pourquoi cet état me permet d’accéder à d’autres informations et, en quelque sorte, à une perception augmentée de la réalité.
La grande aventure du XXIème siècle ne passera pas seulement par l’évolution des technologies mais aussi par la possibilité d’apprendre à découvrir l’incroyable outil que sont nos capacités perceptives. Comme le dirait Antonin Artaud nous avons tous besoin d’atteindre « un peu de cette réalité qui nous manque », de réconcilier les différents aspects de notre intelligence pour devenir cet humain qui, je l’espère, sera bientôt aussi fier d’être un "perceptuel" qu’un intellectuel. »
Je pense trop, Christel Petitcollin
Editions Trédaniel (Novembre 2010 ; 252 pages)
L'Intelligence émotionnelle, Daniel Goleman
Éditions J'ai Lu (Février 2003 ; 504 pages)